Souvenirs d’Attilia Radice
témoignage de Diana Ferrara
19 mars 2016
| 575 visits / visites
Rome, le 19 janvier 2016
Propos recueillis par Gianmaria Piovano.
« Attilia Radice, la prima ballerina assoluta de son époque, avait reçu sa formation à La Scala pendant les dernières années de la vie de Cecchetti ; elle prit des leçons privées avec lui et lorsqu’elle s’absentait de Milan, ils entretenaient une correspondance soutenue. J’ai eu le bonheur de la voir danser à l’Opéra de Rome – c’était proprement renversant ! La pureté des lignes, la simplicité, l’éclat scénique et la qualité - tout cela, fondé sur le socle d’une grande émotion, m’a fait comprendre ce que signifie véritablement l’enseignement d’Enrico Cecchetti. »
– Brenda Hamlyn Bencini, Fondatrice, Scuola Hamlyn, Florence
Ma première rencontre, pour ainsi dire, avec Attilia Radice a été au Théâtre de l’Opéra de Rome lorsqu’elle dansait Aurore dans La Belle au Bois dormant, ballerine brillante, virtuose mais surtout grande interprète !
C’est dans une école privée à Rome que j’ai commencé mes études auprès de Franca Bartolomei et Ettore Caorsi ; ce dernier avait été Directeur de l’Ecole de danse du Théâtre de l’Opéra de Rome où il enseignait encore les classes d’homme. Enseignant admirable, il me prépara pour l’examen d’entrée à l’Ecole ; ainsi, ma formation initiale était cecchettiste, puisqu’il avait été lui-même élève non seulement de Nicola Guerra mais de Cecchetti en personne.
A l’âge de 16 ans, je suis entrée à l’Ecole de Opéra alors dirigée par Attilia Radice, avec laquelle j’ai continué mes études jusqu’au Passo d’addio et même par la suite lorsque j’ai été nommée soliste puis Première danseuse étoile du Théâtre de l’Opéra de Rome.
La leçon de Mlle Radice était terriblement ardue. Je me rappelle qu’elle donnait, tout de suite après les grands pliés, les grands battements ! Ce que nous n’avions jamais fait avec Ettore Caorsi. La barre de Mlle Radice était simple et durait environ 40 minutes ; si elle pouvait varier d’un jour à l’autre, les mêmes principes revenaient toujours. Mlle Radice mettait l’accent sur la répétition et le travail des séries. Puis nous refaisions la plupart des exercices de la barre au milieu.
Ses pas d’adage étaient célèbres. Je me souviens en particulier d’un pas d’adage appelé Adagio dei 4 arabesque, effroyable, et très long. Mlle Radice le donnait toujours le même jour de la semaine, mais c’était tellement dur que le jour précis m’est carrément sorti de la tête. C’était d’ailleurs le jour où plusieurs élèves manquaient toujours à l’appel !
Les ports de bras étaient d’une grande beauté ; Mlle Radice les tenait de Cecchetti lui-même et les donnait presque tous les jours. Ce sont des séries très bien construites qui nous plongeaient dans l’océan de la danse.
Quant au regard, Mle Radice nous sommait d’aller chercher le public avec les yeux, offrir, donner et « parler » avec le seul geste.
Je dois souligner cependant que mis à part les grands ports de bras, la leçon de Mlle Radice portait beaucoup moins sur la « grâce » que sur la construction de la puissance (potenziamento) nous étions forts, stables, et la virtuosité qu’elle exigeait des élèves féminines sur les pointes se voit rarement de nos jours !
Non moins important_ : pendant toute ma scolarité à l’Ecole de danse à aucun moment n’ai-je souffert de douleurs persistantes ou récurrentes, car Mlle Radice nous faisait travailler correctement : tout était conçu en vue de prévenir l’accident provoqué par un travail erroné. La carrière est si courte qu’un accident survenu pendant nos jeunes années est un luxe que l’on ne peut se permettre.
Attilia Radice (à gauche), directrice de l’Ecole de danse de l’Opéra de Rome, années 60
(Collection particulère)
Ce qu’Attilia Radice nous donnait au moyen de la méthode Cecchetti était la force et l’énergie. Nous étions fortes et sur nos jambes ; à la fin de la leçon nous faisions toujours des fouettés – une quarantaine ! – ou d’autres pas virtuoses ! Elle nous a appris à ne pas lâcher le morceau, à vraiment le vouloir – et à comprendre que si on fait les choses correctement et avec un réel engagement, on y arrive.
Avant et surtout, Attilia Radice était une artiste et une interprète. A cette époque, elle dansait encore quoique rarement, et parfois nous faisait la démonstration d’un pas. Ses pirouettes étaient très propres ; si elle ne tournait pas beaucoup, elle tournait bien ; elle nous a appris à les placer comme elle les avait apprises, c’est-à-dire depuis la seconde position, et seulement plus tard, depuis la quatrième. Gravé à jamais dans nos esprits, ce jour où elle nous avait démontré un manège de jetés sans appuyer le talon et le genou légèrement fléchi ; sa manière d’exécution nous laissait pantois, elle semblait prendre son envol jusqu’à ce qu’elle n’atterrisse avec énergie, entourée de nos applaudissement devant un tel miracle.
Attilia Radice a dirigé l’Ecole de danse de l’Opéra de Rome entre 1957 et 1975. Il y avait neuf classes d’hommes que donnait Ettore Caorsi, et neuf de femmes que donnait Mlle Radice. Elle invitait souvent des danseurs de La Scala à venir remonter des ballets du répertoire et à nous enseigner les passages de pantomime ; je me souviens notamment d’un Giselle particulièrement difficile que nous avait remonté Olga Amati.
Si Attilia Radice était très sévère, elle nous aimait. Une fois engagés au Théâtre, elle venait souvent nous voir et nous conseiller. Elle était auprès de nous dans les moments difficiles. Je lui devrai toujours une grande reconnaissance.
Née à Rome, Diana Ferrara termine en 1962 ses études à l’Ecole de danse de l’Opéra de Rome. En 1972 elle a été nommée Première danseuse, puis en 1978 Première danseuse étoile. En 1988 elle a reçu le titre de Commendatore al Merito de la République italienne. Elle est titulaire de nombreux prix et décorations, dont la Maschera d’Argento et le Prix Positano.