Auguste Vestris


Titre
 

Entre les notes, la musique, entre les positions, la danse

Dans la même rubrique
In the same section


Une nouvelle perspective sur la danse en Angleterre - suggestions en vue des progrès attendus
Audrey De Vos (1900-1983), à l’avant-garde de l’analyse du mouvement
Libérer les élans et les forces
Camper sur ses positions...!
Sticking to one’s position?
« La troisième position bien comprise amène l’élégance et la finesse »
Ah ! la cinquième...
Il ressent, plus qu’il ne voit

Les rubriques
All sections :













 

Une nouvelle perspective sur la danse en Angleterre - suggestions en vue des progrès attendus
par Audrey de Vos

24 novembre 2012

Printable version / Version imprimable   |  655 visits / visites

Au moment de la mise en page, nous recevons ce document inédit de la main même d’Audrey de Vos. Ecrit vers 1960 pour un congrès d’enseignants, il reste d’une telle actualité que nous le reproduisons ici presqu’en entier.

Pour moi, la danse est non une fin mais un moyen qui sert le progrès de l’Homme.

Cette forme d’expression, sans doute la plus ancienne qui soit, prend racine dans les profondeurs du comportement humain. Ainsi, l’enseignant est parfois abasourdi par ce qui remonte à la surface. On découvre le vrai être humain, trop souvent masqué par la personnalité artificielle secrétée par une éducation conventionnelle et l’impératif de se conformer aux normes sociales. Alors que bien comprise et bien enseignée, la danse peut dévoiler à l’individu sa véritable identité.

Elle sert de multiples objectifs tout à la fois :

  1. moyen de guérison ;
  2. moyen d’éducation ;
  3. profession ;
  4. réalisation d’un potentiel artistique propre.

Enseigner la danse est parmi les professions les plus responsables qui soit ; c’est s’embarquer vers l’aventure, mais uniquement si elle est enseignée avec la plus grande largeur de vues, par rapport à la vie et à ses questionnements.

La grandeur artistique en danse est tissée de paradoxes et commence par la relaxation consciente.

Par exemple : un mouvement qui doit être tranchant comme une épée bénéficiera d’une approche détendue et rythmique, tandis qu’un mouvement doux et arrondi reposera sur une structure d’une précision et d’une fermeté quasi-géométrique, telle l’armature sur laquelle le sculpteur bâtit son œuvre. Sinon, le mouvement sera tiède émotionnellement et dénué de sens. La structure de base est fondamentale et à mon avis la danse ne s’est pas encore dotée d’une technique pleinement réalisée. Je peux toutefois imaginer qu’émerge un apprentissage aboutissant à une utilisation beaucoup plus éloquente du corps (….)

Nikita Dolgushin au Théâtre Michel,
Saint­Petersbourg
« La grandeur artistique en danse est tissée de paradoxes et commence par la relaxation consciente. »
Audrey de Vos

Noter la perfection du geste des mains cependant détendues.

L’art doit exprimer l’esprit de son époque. Si, dans d’autres arts, des méthodes traditionnelles peuvent en former le socle, en danse cela n’est vrai que jusqu’à un certain point, car le corps étant notre instrument, un apprentissage inapproprié ou dépassé peut être à l’origine de dégâts irréversibles et entraver toute possibilité d’utiliser ce corps pour transmettre de nouvelles formes et de nouvelles idées (….) tout en préservant son élasticité et sa sensibilité.

L’ennemi qu’il faut combattre est la rigidité. La rigidité que ce soit de muscle, d’esprit ou de caractère signifie la mort pour tout artiste et plus encore, en raison de la nature de son instrument, pour le danseur. Car la vie est tout mouvement et pouvoir d’adaptation.

Les ostéopathes et médecins affirment que tout ce qui conduit à la rigidité du muscle, du squelette est à bannir ; parmi leurs cas les plus difficiles sont les danseurs et leur cortège de maux - arthrose, fibrosite, rhumatismes et luxations diverses. Beaucoup de danseurs souffrent aussi de névroses en raison de la tension incessante qu’instaure la rigidité inhérente à tout enseignement qui se cramponne à des méthodes périmées.

En raison de deux Guerres Mondiales, les tensions de la vie quotidienne ont donné naissance à une génération à bout de nerfs : leurs os sont plus friables, leurs nerfs hyper-tendus, les muscles endurcis. Tout cela exige du professeur des connaissances très poussées. Son approche doit être élastique, car il devra s’adapter constamment à l’individu et prendre en compte l’environnement qui l’entoure.

(…) Chez un professeur, l’imagination est peut être la qualité primordiale. C’est grâce aux images plutôt que par des instructions et corrections académiques aussi méticuleuses fussent-elles, que l’enfant y arrivera plus facilement. Par exemple pour un fouetté je dirais : « imagine que tes jambes sont des épées qui tranchent l’air sur la diagonale ». Trop d’analyse au début de l’apprentissage ne fera qu’étourdir l’élève alors qu’une vive image mentale ou bien le ressenti d’un pas laissera toute sa place à une connaissance de la mécanique – essentielle, certes, mais à ne pas confondre avec la danse.

Le danseur de ballet aujourd’hui n’a que peu de chose à nous offrir de point de vue artistique – la faute, grosso modo, au public, se repaissant des seuls classiques et se satisfaisant de réalisations superficielles et de la réitération de pas et de danses qui depuis fort longtemps, ne font plus sens.

L’art de la danse est national. Une technique importée et imposée depuis l’étranger ne sera jamais efficace. La manière de danser d’un peuple est fonction du pays – de son climat, son travail, ses coutumes, son histoire … Si l’on veut qu’un art véritable voie le jour, tout système d’enseignement doit être le produit naturel de ces conditions et coller au caractère du peuple.

Jusqu’à présent, l’Angleterre n’a pas créé d’Ecole qui lui est typique, sans doute parce que nous préférons importer que produire ! Peut être en raison de notre paresse et d’une excessive modestie mais aussi, d’une préoccupation grandissante depuis cent ans avec la prospérité matérielle. Cette prospérité étant maintenant sur le déclin, il est permis d’espérer une Renaissance de la conscience artistique telle que nous l’avons vécue à l’âge Elisabéthain et au 18ème siècle. Comment pense-t-on créer une Ecole anglaise avec des petits bouts de technique russe, française et italienne ? Ne retenons de ces écoles que ce que nous avons vraiment assimilé, ce qui nous est devenu organique, et rejetons tout ce qui ne contribue pas à notre expression.

Or, les termes français sont exacts et il est impossible de faire mieux. De même pour les cinq positions. Mais tout ce qui fait camisole de force doit être impitoyablement rejeté, et notamment,

  1. toute répétition monotone et insignifiante ;
  2. tout mouvement qui exige une tension prolongée et antinaturelle ou l’exhibition de force brute animale ;
  3. les styles artificiels et les maniérismes ;
  4. les routines invariables accompagnées d’une musique invariable.
    J’aimerais voir l’enseignant poser un défi constant aux pouvoirs de l’élève, tout en l’encourageant à exprimer ses doutes, ses questions, et ses observations – et son originalité.

Le système d’examens actuellement en vigueur ne sert qu’à supprimer ces tendances pour les remplacer par une travestie étriquée et contrainte de ce que pourrait être la danse.