![]() |
![]() |
Entre les notes, la musique, entre les positions, la danse
Dans la même rubrique Une nouvelle perspective sur la danse en Angleterre - suggestions en vue des progrès attendus Audrey De Vos (1900-1983), à l’avant-garde de l’analyse du mouvement Libérer les élans et les forces Camper sur ses positions...! Sticking to one’s position? « La troisième position bien comprise amène l’élégance et la finesse » Ah ! la cinquième... Il ressent, plus qu’il ne voit
|
Libérer les élans et les forces
|
![]() Tamar Karsavina, Les Sylphides. Chor. Fokine,
Théâtre Maryinskii, 1909.
| ![]() Extrait de Roger Clerc.
La Respiration, Le Courrier du livre.
|
Les côtés du corps s’organisent alors en trajectoires montantes et descendantes, en courbe autour de l’axe gravitaire. Ces mouvements spiralés sont soutenus par la physiologie osseuse et par les chaînes musculaires croisées du corps, aussi bien au niveau du tronc que des membres. C’est ainsi que les bras vont aider en adoptant des positions allant dans le même sens : troisième, quatrième ou cinquième. Il devient plus facile de s’autograndir, l’ancrage et la suspension vers le haut sont facilités.
L’usage des spirales par une mobilisation accentuée des côtés (épaules, côtes) fait partie du patrimoine transmis aujourd’hui par l’école Bournonville ou celle de Cecchetti. La finesse d’interprétation qui en découle est tout à fait spécifique à ces deux styles de danse classique.
Les spirales peuvent aussi être investies de façon plus centrale. La projection du regard, coordonnée à la rotation de la tête, et toujours associée à la direction de ces deux forces vers la terre et le ciel, provoque les spirales très subtiles au niveau de la colonne vertébrale. La rotation possible des vertèbres, d’étage en étage, autorise les spirales si les côtés sont détendus pour s’ajuster par micro-mouvements. Plus discrètes au regard, plus interne, elles donnent le style plus mesuré et retenu de l’école française actuelle.
Ces organisations spiralées tantôt centrale (école française) tantôt périphérique (Bournonville, Cecchetti), sont nécessairement présentes dans la danse classique, mais c’est l’insistance à donner à voir plutôt l’une que l’autre, qui différencie les styles.
Les grands danseurs virtuoses jouent avec l’une ou l’autre au gré des moments d’interprétation, et dans des choix très judicieux.
![]() Serge Lifar, vers 1926
| ![]() ... et les mouvements en spirale
Dessin de Michel Magnavat, tiré de La Méthode de
M.R. Poyet. Roger Jollois, éditeur. |
La spirale est présente dans les organismes vivants (molécule ADN, os, chaînes musculaires...). Omniprésente dans les oeuvres d’art, en architecture... les courbes qui s’en dégagent donnent à voir un mouvement arrondi et harmonieux, parce que continu. Parfois même sans fin, avec des courbes qui peuvent se croiser, s’entrelacer.
Dans la danse, cette harmonie permet aussi la puissance et la vitesse du mouvement, parce que les élans et les forces ne sont pas arrêtés le long de ces trajets courbes.
Comme l’explique Odile Rouquet [1], « la spirale implique les trois plans de l’espace dans un jeu d’opposition de forces, elle permet le passage rapide de mouvements d’un plan à un autre... » Dès lors, quel meilleur choix que le plié en cinquième pour disposer à gré de toutes les orientations et directions ! Et alors, tel un ressort souple, la cinquième position restitue la propulsion nécessaire aux déplacements, à la suspension, aux sauts, aux tours.
Dans cette aisance toute physiologique et mécanique, se glissent alors les qualités d’interprétation choisies.
Pour que ces spirales existent, soient vivantes, chaque segment du corps doit y participer sans entrave, pour un tout global, cohérent.
Or dès que le danseur dépasse les possibilités physiologiques de l’en-dehors et force le croisement des pieds, il sera plus occupé à des compensations pour maintenir de tels excès qu’à investir le mouvement en lui-même.
Une attention trop focalisée sur la propreté de la position pour elle même, gèle et rigidifie le corps à travers lequel ne circule plus le mouvement.
A cela parfois s’ajoute l’oubli de la dynamique qui est pourtant la raison d’être même de la cinquième au sein du pas ou de l’enchaînement.
Les dernières décennies ont évolué vers toujours plus d’amplitude, d’en-dehors et de croisement dans les positions, au détriment de l’intégrité du danseur et de l’interprétation... Jusqu’où ira-t-on ?
Il peut aussi y avoir des limitations structurelles. Par exemple un maillon d’une chaîne musculaire ou fasciale qui serait trop court.
Enfin, comme nous l’avons vu, la spirale est inhérente à la marche controlatérale. Mais tout individu ne se déplace pas forcément ainsi. La spirale peut ne pas exister dans « le patron moteur » de la personne.
Dans ces deux derniers cas un travail spécifique et ciblé permet de dépasser les limitations.
La spirale est un joyau d’efficacité au service du corps dansant pour en libérer l’expressivité. La cinquième propre au vocabulaire de la danse classique en est un usage ingénieux et subtil, merveilleuse illustration stylisée.
Octobre 2012
[1] Odile Rouquet, « Mettre en mouvement les spirales du corps ». Médecine des Arts, 1999 – 33.