Auguste Vestris


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Supplément : Alexandre Volinine et Viktor Gsovsky

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Souvenirs d’Alexandre Volinine
par Liane Daydé

2 janvier 2013

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J’ai été élève de l’Opéra depuis l’âge de 8 ans, en raison du seul souhait de ma mère, car au début, je n’avais pas le désir d’être danseuse.

Mon premier professeur important à l’Opéra fut Mauricette Cebron, qui a été aussi le professeur de Michel Renault. Puis lorsque j’avais environ 12 ans, je suis devenue l’élève privée de Blanche d’Alessandri-Valdine (née Blanche Rostand Valdine, 1862-1948), alors très âgée. C’est elle qui avait formé Camille Bos, Janine et Solange Schwartz, Olga Adabache, Ludmilla Tchérina…

Lydia KYASHT et Alexander VOLININE, cliché BASSANO, vers 1912.
Courtesy of National Portrait Gallery.

Mlle d’Alessandri-Valdine portait encore la guimpe blanche et le corset, sous une robe de soie noire qui frôlait le sol. Tombée dans une trappe de scène lors d’une tournée aux USA, elle dut s’arrêter de danser très tôt, vers 28 ans, et commença à enseigner tout en donnant des cours privés. Avant de mourir, elle me fit jurer de devenir « sa dernière Etoile ». Elle est morte dans mes bras. Je porte encore aujourd’hui la cicatrice d’une de ses colères – elle me lança le manche cassé en ivoire – très tranchant – de son ombrelle… Je ne me rappelle pas des enchaînements qu’elle nous a donnés sauf que l’on peut dire que cela correspondait à sa propre formation – Cecchetti. Son studio était rue Rodier, alors que j’habitais Square Montholon non loin de là.

Lorsque j’avais 14 ans, Alexandre Volinine devint mon professeur privé et ce, jusqu’à sa mort.

Alexander VOLININE, cliché BASSANO, vers 1912.
Courtesy of National Portrait Gallery.

Il est difficile d’expliquer pourquoi le courant passe avec un professeur plutôt qu’avec un autre. A cette époque, tous à l’Opéra avaient des professeurs en dehors du théâtre. J’avais suivi quelques leçons avec Carlotta Zambelli, avec Serge Peretti, avec Nicolas Zvereev, avec Boris Kniazeff… et cela n’avait pas « pris ». Alors que dès le premier jour où je fus présentée à Alexandre Volinine j’ai su qu’il était le professeur qu’il me fallait.

Ce qu’Alexandre Volinine avait d’extraordinaire ? Tout en lui l’était ! Il mettait en valeur vos qualités et faisait oublier vos défauts. Puisqu’il existe des défauts physiques qui jamais ne sauront être corrigés, il faut s’en servir pour en faire quelque chose d’exceptionnel. De nos jours ce n’est que corriger fautes et défauts en permanence. Alexandre Volinine voyait d’abord vos qualités et s’il pouvait être rigoureux, car il n’était pas question de négliger la technique, jamais il n’oubliait la Danse.

Même si chez lui, la technique était moins poussée qu’à l’Opéra, Alexandre Volinine faisait des danseurs. Il nous obligeait à réfléchir. Nous venions à lui en singe savant, et sortions en artiste.

Alexandre Volinine m’a enseigné ce que doit être une Danseuse Etoile : ne pas se bloquer dans la technique mais en jouer. Chaque pas doit vouloir dire quelque chose, même à la barre. La danse veut dire donner, donner, donner. Faire don de soi. A la barre par exemple, si vous faîtes un dégagé en présentant le talon, c’est un don. Les fouettés ne sont pas censés être un exercice de technique. Ils doivent exprimer quelque chose. Et le Danseur Etoile se doit de donner plus que les autres.

Tous les jours en sortant de l’Opéra j’allais directement chez lui. Ma technique venait de là, parce que ce n’était pas une technique. Il m’a appris le principal. C’est pour cela qu’il y a des maîtres, et Alexandre Volinine était un maître, une âme.

Le studio d’Alexandre Volinine, pas très grand, était au premier étage de l’hôtel particulier du 132 avenue de Villiers. Son amie était Tamara d’Erlanger, qui était l’épouse de son secrétaire Théodore d’Erlanger et la mère de Nora Kiss. Lorsqu’il fonda son Ecole on n’y enseignait ni mime, ni danse de caractère. L’un de ses principaux disciples fut l’Etoile Madeline Lafon.

Lorsque j’ai connu Alexandre Volinine, il était déjà âgé et il enseignait assis, toujours, en ne donnant que les épaulements. De toute manière, il ne se serait jamais levé pour enseigner, car il considérait que l’élève doit faire travailler la tête. Alexandre Volinine vous faisait sentir le mouvement ; tout le corps était en respiration, en élongation. On ne travaillait pas « musculairement » pour ainsi dire, jamais en force, toujours avec la moindre action pour la plus grande efficacité, de sorte à ne pas charger et tasser la musculature. La respiration venait de la musique, il fallait « aller avec » la musique car Alexandre Volinine était avant tout extrêmement musical. Il disait « la musique vous exprime la danse, et même sans musique, dans le silence, vous devez écouter la musique intérieure ». Si je devais résumer en un mot ce qu’était Alexandre Volinine, il était l’incarnation de cette phrase de Théophile Gautier, « la danse est une musique que l’on regarde ». Et il avait d’excellents musiciens comme pianistes, tel Pietro Galli.

J’ai retrouvé cela parfois avec Serge Lifar, qui pouvait faire un adage sur un passage pizzicato – et le résultat était néanmoins extraordinaire !

Alexandre Volinine commençait le cours avec des exercices qui chauffaient toute la musculature à fond, comme ceux que faisait Anna Pavlova dont il avait été longtemps le partenaire. En tournée avec Pavlova, ils descendaient souvent du train pour monter sur scène trente minutes plus tard. Pavlova avait donc imaginé une barre qui en un quart d’heure chauffait intensément au moyen de mouvements très amples du corps, avec des cambrés dans tous les sens et notamment de côté et beaucoup de mouvements faits avec le pied flex. C’était presque une avant-barre, mais c’était la barre ! Et tous les mouvements essentiels s’y trouvaient.

Tous les pas étaient épaulés et quand je dis épaulés, je veux dire avec le corps, l’effacement de l’épaule, et non pas des tics nerveux de la tête. Dans l’épaulement, le regard est capital, il doit être focalisé.

Aucun exercice ne devait lasser. Si nous butions contre un problème, il donnait l’exercice deux ou trois fois mais sans acharnement. Il savait laisser travailler l’esprit.

Car le jour après, il reprenait l’exercice et un jour, soudainement, nous nous voyions surmonter la difficulté. Il disait « faîtes confiance à votre corps. Il va trouver ». Alexandre Volinine donnait des séries, mais très différentes de celles de Carlotta Zambelli. Il voulait que l’on se déplace, le mouvement ! Ainsi donnait-il par exemple des grandes diagonales avec tant d’arabesques, d’attitudes... Il donnait aussi des séries de pirouettes, surtout depuis la cinquième, formidable exercice qui remet tout en place !

Plutôt que de parler du placement, il voulait le « dehors » dans la dynamique du mouvement. Par exemple, que l’on tourne toute la jambe en-dehors avec fluidité, plutôt que de bloquer le bassin pour être « placé » avant même de tourner la jambe.

Le Couronnement de la Vierge
par Fra Angelico, vers 1440. Couvent de Saint-Marc, Florence.

Il nous faisait faire des exercices pour les mains et les bras comme les danseurs indiens. Le bras, disait-il « est une écharpe de soie ». Lorsque le bras est en arabesque, le regard doit se diriger au loin, le long du majeur de la main. Quant à la main elle-même, il nous conseillait d’étudier les fresques de Fra Angelico dans le Cloître San Marco à Florence. Ni le doigt, ni le pouce ne doit jamais « projeter » comme une épine. Ces mains des créatures de Fra Angelico ce sont les mains du danseur.

Alexandre Volinine aimait les gens. Il vous regardait et il vous aimait. On a besoin d’être aimé par son professeur ! Jamais je ne l’ai entendu dire « c’est mauvais ! tu n’arriveras à rien ». Il disait, « tu peux si tu veux ! » Il croyait en nous. C’était un être positif.

Au milieu, il donnait beaucoup de grands adages et de grands ports de bras mais peu de petite batterie. Il adorait les grands sauts, et enseignait aux femmes pratiquement tous les pas d’homme.

Il disait que le ballon, pour la femme, c’est une balle de ping-pong et pas une balle de tennis. Comme dans l’action des fouettés, dans le saut il voulait un coup de talon – un talonnage – et que l’on prenne l’air. Pour la femme – car il comprenait bien que notre musculature doit rester longue et fine – il proscrivait les appuis trop puissants dans le sol ; aussi hérétique que cela puisse sembler, souvent le talon ne prenait l’appel du saut que très légèrement. Pour arriver au rendement technique exigé sans hypertrophier la musculature, il faisait travailler le corps comme un tout d’une manière très peu « corseté ». Presque du contemporain !

Quant aux pointes, nous les avions aux pieds dès la barre. Il enseignait la technique italienne du petit saut. Je la préfère car – et on le voit parfaitement avec les pirouettes – il vaut mieux sauter pour placer le pied sous le corps d’un seul coup, que de permettre ce petit déplacement du pied loin de l’axe, que le corps va devoir suivre et corriger.

Si l’on considère que dans la profession trois éléments sont fondamentaux, à savoir le placement, la technique et la danse, je dirai que de nos jours, on fait du placement, et beaucoup de technique, mais on oublie la danse. Je ne suis pas du tout lorsque l’on me dit « il apprendra à danser plus tard » ! Non. L’enfant doit danser, véritablement, depuis tout petit.

Après le cours, Alexandre Volinine parlait avec ses élèves et restait avec nous pendant que nous buvions le thé. Il avait toujours du temps pour nous. Dans nos conversations, il était toujours beaucoup plus question de nous, que de lui. Par ailleurs ce n’était pas une machine à faire du fric. Il enseignait gratuitement à ceux qui n’avaient pas de moyens. Il s’intéressait beaucoup à la musique et à la peinture. C’est de lui et de ma mère, excellente pianiste, que je tiens mon amour pour la musique. Je connais tous les opéras par cœur.

Je n’allais pas chez Alexandre Volinine pour travailler mes rôles, mais pour explorer les fondamentaux du mouvement.

Paris, le 5 décembre 2011

Née en 1932, Liane Daydé a intégré le Ballet de l’Opéra de Paris à l’âge de quatorze ans. Nommée étoile à l’âge de dix-neuf ans, elle y dansa tous les rôles principaux. En 1959, elle rejoint les Ballets du Marquis de Cuevas, et à partir de 1963, poursuit une carrière internationale. En 1979, elle a créé sa propre école à Paris où elle continue toujours à enseigner.