« Les mains, prémices d’une expression »
par Nanette Glushak
16 juin 2012
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Aaucun moment de sa formation, le danseur classique n’entend parler de comment utiliser l’œil. S’il n’est pas doté d’un talent inné, d’une sensibilité, il devra le moment venu apprendre à utiliser le regard de la manière exigée par le rôle qu’il est censé interpréter. Ce sera souvent la venue d’un chorégraphe qui va révéler des capacités insoupçonnées. Il pourra alors, face au chorégraphe, à la personnalité de ce dernier, et à son ballet, sortir de sa coquille et s’exprimer.
Dans ma fonction d’enseignante, je dois faire comprendre comment utiliser les muscles correctement ; j’ai découvert que si les danseurs d’un naturel plus rigide, moins expressif, peuvent garder les omoplates bien bas et engager correctement les fessiers, leur équilibre sera d’autant plus assuré et en conséquence le visage – les yeux ! – et les mains seront en quelque sorte, libérés.
Quel que soit le mouvement que l’on exécute, ce sont les yeux qui parlent de ce que ressent l’artiste en son for intérieur. Le seul aspect strictement technique de l’enseignement concerne l’angle du regard : en modifiant cet angle, l’expression de l’artiste, vue depuis une certaine distance, change. Ce « regard » crée en même temps une ligne invisible qui sert à prolonger la ligne du corps, et peut même donner l’impression d’un espace soit plus restreint soit plus vaste.
« Les mains... prémices d’une expression »
Hans Brenna et Mona Vangsaae,
dans La veuve au miroir, 1934
La génération actuelle est obsédée par la technique, ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Néanmoins, je me retrouve à supplier les danseurs de « s’autoriser à ressentir de l’émotion » et je le fais même en classe le lendemain d’un spectacle épuisant. Il y a quelques jours, je me suis exclamée : « Vous avez tous l’air de travailler dans une banque ! » Le pianiste venait de leur jouer une œuvre splendide de Chopin sans pour autant que leurs yeux ne s’animent de la moindre étincelle !
C’est la sensibilité musicale de l’artiste en tant que personne qui lui « enseignera » comment utiliser l’œil dans les différents temps. Un professeur ne peut pas lui enseigner une telle sensibilité, car soit elle existe, soit elle n’existe pas.
Pour la main, ce sont à mon sens les Russes qui ont le mieux étudié tous les « rouages » du torse. Les danseurs russes qui ont bénéficié d’une formation décente ont tous de belles mains. D’abord, un mot de technique : si l’on travaille les bras à partir de la musculature du dos, les mains seront plus libres. Il faut bien abaisser l’omoplate afin que tous les ports de bras prennent leur origine dans le milieu du dos. Si un danseur a des bâtons à la place des bras et les doigts en porc-épic, c’est que pour lui, le seul moteur du mouvement est le plan frontal du torse.
Très souvent, le danseur dont l’expression ou les mains sont figées s’est retrouvé dans ce pétrin parce qu’il doit lutter constamment pour garder l’équilibre. Or, la question de l’équilibre n’a rien de mystérieux. Une fois les omoplates tenues bien bas, et les fessiers engagés, le danseur ne craint plus de perdre l’équilibre. Et les mains ne sont plus le simple bout du bras, mais les prémices d’une expression.
Quant à marcher et courir, ce sont les premières choses qu’un élève se destinant à la profession devrait apprendre. La tête pesant 5 à 6 kilos, si vous allez vers l’avant en courant, la tête bien rigide, vous finirez complètement en-dedans. Le jeune danseur doit apprendre à courir en déployant l’épaulement juste, et après viennent la rapidité et l’en-dehors... sans ne jamais oublier l’engagement des fessiers (en guise de refrain !), de façon à éviter que toute la tension ne vienne charger les mollets et plomber ainsi la variation que le danseur devra attaquer.
21 mai 2012
Nanette Glushak est Directrice du Ballet du Capitole de Toulouse (1994-2012), ancienne directrice du Scottish Ballet ainsi que répétitrice pour le Balanchine Trust.