Auguste Vestris


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« Créer par le regard vie et présence »
par Joëlle Mazet

16 juin 2012

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Madame Préobrajenskaya et Atty Chadinoff attachaient une très grande importance à la relation qui se crée entre les yeux, les bras, les mains et les pieds. Toutes deux insistaient sur la façon dont le regard et la tête accompagnaient le port de bras ou se laissaient entraîner par lui pour dialoguer avec les partenaires et se porter ensuite dans différentes directions, l’œil utilisant toutes ses possibilités fovéale et périphérique.

Pour obtenir une cohérence du mouvement, une fluidité et lui donner un sens, il faut donc utiliser le corps avec une très fine coordination, une globalité et une dynamique qui vont donner vie et présence à la danse.

Dès les premiers échauffements à la barre, la participation des yeux aux exercices est essentielle. Un regard éveillé reflète à chaque instant la conscience qu’a le danseur de son corps. Dans les ports de bras qui accompagnent les pliés, le jeu qui s’installe entre les yeux, le bras et la main doit être constant. Les yeux cherchent d’abord la main, puis, dans l’ouverture, la main entraîne les yeux qui ensuite se placent à des distances variées dans l’espace.

« Dynamiques et précis, les yeux donnent la direction »
Ici, le regard de Michel Fokine en Persée dans La Méduse est celui dit Veera (héroïque) que démontre Sugandhi Subra Manian parmi les 9 Bhavas reproduits en page 11.
Carte postale, Saint Pétersbourg (vers 1910).

Il est nécessaire de rendre les yeux indépendants de la tête, de coordonner le regard avec le geste et de savoir que le regard est pratiquement toujours initiateur du mouvement. Les yeux doivent rester fluides dans leur orbite afin de ne pas générer de tension dans le corps et de permettre à la colonne vertébrale de s’adapter constamment.

Des yeux œuvrant en harmonie avec le corps sont porteurs de vie et d’émotion. Par exemple, dans une promenade, les yeux et la tête restent en place alors que le corps commence son voyage ; à mi-chemin les yeux en premier donnent la direction, puis entraînent la tête, qui entraîne à son tour le corps. Dans un cambré, les yeux, en regardant vers le haut, entraînent la tête en arrière, qui à son tour entraîne le dos dans le mouvement. Dans un tombé en quatrième devant, le mouvement est pris en cascade : les yeux - la tête - les bras - les pieds.

Regarder où l’on va et aller où l’on regarde n’implique pas le corps de la même manière dans les deux cas. Dans le premier cas, les yeux dynamiques et précis donnent la direction. Dans le deuxième cas, le corps tout entier est occupé à l’action « d’aller vers », tandis que les yeux auront une action plus libre, plus lointaine comme si le but s’éloignait au fur et à mesure que le danseur se déplace.

Selon le sens que l’on veut donner au mouvement, et l’intention que l’on souhaite y mettre, les yeux se posent à des distances différentes dans l’espace et ne racontent pas la même histoire.

C’est le regard du danseur qui crée l’espace et permet au spectateur de le suivre. En évitant de bloquer le regard, le corps du danseur est libre de s’adapter, a un meilleur équilibre, une rapidité pour les temps d’allegro et une respiration pour les temps d’adage.

Le danseur peut avoir deux types de regard à la fois : celui qui, tourné vers l’intérieur, va véhiculer la sensation profonde de toutes les fibres de son corps et permettre à l’émotion de s’exprimer, et le regard conscient de l’environnement qui va projeter cette émotion autour de lui et toucher le partenaire, les spectateurs et au-delà.

Paris, le 22 mai 2012

Joëlle Mazet est professeur au Conservatoire national supérieur de Paris (1993-2006), formateur au Diplôme d’état en danse classique, professeur international.