Auguste Vestris


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L’immobilité du maître
La classe de perfection de Christian Johansson en 1898
par Michel Fokine

16 juin 2012

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Dès que le théâtre a rouvert ses portes en automne j’ai commencé à suivre les leçons de Johansson aux côtés de mon ancien professeur Nicolas Legat, son frère Serge ainsi qu’un petit noyau d’autres danseurs, hommes et femmes. D’emblée je réalisai que je me rapprochais de la source, du fondement même de la danse classique. En entrant dans le studio où enseignait Johansson, j’étais envahi par le même sentiment d’admiration et d’humilité que je ressentais en arpentant les galeries du musée de l’Hermitage.

Michel Fokine et Tamar Karsavina en 1902 au Théâtre Maryinskii
Les deux sont alors élèves de la Classe de Perfection de Christian Johansson (ici, dans le pas de deux Le Pêcheur et la Perle de Petipa).
Dans Tamar Karsavina, par A.R. Foster, Londres 2010.

Lorsque je commençai à travailler avec Christian Pétrovitch Johansson, celui-ci avait déjà plus de 80 ans. Très grand mais courbé par l’âge, ne se déplaçant qu’avec difficulté, c’est lui cependant qui nous a enseigné à danser. Et comment il enseignait !

Lorsque Johansson arrivait pour donner ses cours, les frères Legat devaient l’aider à monter les trois étages jusqu’au studio, chacun le tenant par un bras, privilège spécial accordé aux grands élèves. Grâce à leur aide, il entrait dans l’immense studio et s’asseyait, tenant son violon devant lui comme si c’était une guitare.

Ses paroles étaient rares. Au moyen de mouvements de la main à peine perceptibles, il nous indiquait les pas à exécuter.

Lorsque, dans Coppélia, Clara Blanco [soliste du San Francisco Ballet] se trouve à être tout simplement assise sur le banc – je dis bien, en ne faisant absolument rien d’autre que de rester assise sur le banc – on ne peut la quitter du regard. En fait, je préfère regarder Clara tout simplement assise sur ce banc que tout le reste de la population scénique qui, pourtant, est en train de danser.

Réaction d’un lecteur du site odettesordeal.com

Il avait l’air ni de voir ni de comprendre ce qui se passait autour de lui ; en réalité cependant il voyait tout, et notait l’erreur la plus minime. Le suivre était une tâche ardue. A chaque fois qu’il donnait un enchaînement, s’ensuivait un silence à couper au couteau. Chacun cogitait, s’efforçait d’imaginer ce que pouvait être l’enchaînement. Puis l’un de nous s’y essayait. En général tout n’était pas exact, et Johansson secouait sa tête blanche presque imperceptiblement.

Alors nous entourions le maestro, nous nous penchions au-dessus de lui et cherchions, dans la concentration absolue, à saisir le détail oublié, l’erreur d’exécution. Cette intense concentration conférait à la leçon une valeur toute particulière.

Combien ces leçons nous étaient sacrées ! Et quelle merveilleuse ambiance de respect pour les trésors de l’art régnait parmi ce petit groupe d’enthousiastes !

Michel Fokine, Memoirs of a Ballet Master. Constable & Company, Londres, 1961.