Auguste Vestris


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« A-t-il de l’oeil ? »
par August Bournonville

16 juin 2012

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La qualité que depuis vingt ans je cherche le plus vainement chez les acteurs, comme les danseurs, c’est précisément « l’expression du regard » et j’ai vu tous les vrais succès obtenus, parce qu’il y avait de l’Oeil.

Tommasso di Giovanni Cassai
dit Masaccio.
Autoportrait, 1427

Est-ce que cette précieuse nuance est exclusivement réservée aux beaux yeux, et se trouve-t-elle interdite aux prunelles vulgaires ? Musard le célèbre chef d’orchestre n’a jamais passé pour être « joli garçon », surtout ses yeux n’ont pas été cités pour leur éclat. Remarquez-le au milieu d’un de ses étincelants quadrilles, sa figure s’anime, son regard brille, toute sa physionomie prend un air de fête ; il invite, il agace dans le motif du « balancé », il triomphe dans les forte, une douce mélancolie s’empare de lui dans le langoureux Mineur, mais il se réveille bientôt avec l’énergie d’un héros arraché à la douleur ou à la volupté, enfin il marche rayonnant jusqu’au final victorieux.

Ce portrait (…) présente toute la théorie de l’expression dansante. – Oui ! – les plus beaux yeux peuvent être froids, maussades, insignifiants, tandis qu’une âme aimable se dépeint à travers les formes les moins classiques (….).

A l’égard des exercices, j’observerai que les muscles du visage se développent, comme ceux du reste du corps, et si dans les premiers battements de l’élève, on ne fait attention aux yeux hagards, aux grimaces de la bouche et à l’air douloureux et renfrogné, on peut être sûr que ces mauvaises habitudes resteront, ou bien, feront place à ce sourire forcé et stagnant qui fait le désespoir de la scène (…)

L’expression de la figure fait partie du Placé ; pour dire ce qu’elle doit être, j’indiquerai ce qu’il faudra éviter comme le statuaire, qui pour animer ses marbres, ne fait que leur ôter du superflu : les grimaces en général telles qu’efforts pénibles, sourires doucereux et hébétés, air prétentieux – « me voilà », regards interrogatifs, confus, effarés, suppliants, goguenards ou honteux ; les espiègleries musquées, comme les élans triomphateurs, doivent être bannies de la belle danse.

Que le calme du bonheur repose sur vos traits, que la passion y soit comprimée par les égards que vous portez à celle qui consent à être la compagne de vos plaisirs ; que l’on remarque dans vos yeux l’enthousiasme musical, la solennité de la fête et que votre bouche n’exprime point une demande mais une réponse satisfaisante et spirituelle.

Dans Etudes chorégraphiques (1848, 1855, 1861) édition trilingue préparée par Francesca Falcone et Knud Arne Juergensen, LIM Ed., Lucca 2005.