Auguste Vestris


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26 juin 2010, septième soirée : Vera Volkova

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Vera nous a ouvert les portes de la grande technique
par Vivi Flindt

26 juin 2010

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C’est en 1951 que je suis entrée à l’Ecole de danse du Théâtre royal – l’année même où arriva Vera Volkova, à l’invitation de notre maître de ballet d’alors, Harald Lander – mais je n’ai appris à bien la connaître que lorsque je suis devenue stagiaire vers 1957.

Vera (élèves, nous l’appelions Madame) donnait alors un cours à la compagnie tous les matins puis un autre l’après-midi, de quatre heures à six heures, à nous les jeunes stagiaires. Si, avec les professionnels du groupe du matin elle pouvait être réservée, presque sur ses gardes, avec notre petit cercle elle s’épanouissait, racontait des anecdotes et faisait montre de son merveilleux sens de l’humour. Elle y était dans son élément, se donnant sans compter, toutefois il faut reconnaître qu’elle avait des élèves predilectes et notamment Kirsten Simone, à qui elle prodiguait maints conseils ! En tout cas, je m’y hâtais car ses cours pour les stagiaires étaient une grande aventure !

De gauche à droite
Flemming Flindt, Erik Bruhn, Kirsten Simone, Rudolf Nouréev, Vera Volkova,
vers la fin des années soixante

Vera, qui nourrissait une passion non seulement pour la danse mais pour tous les arts, prenait chaque spectacle au sérieux. D’ailleurs elle n’en manquait aucun : après ses cours elle rentrait à son petit appartement situé à quelques centaines de mètres du Théâtre royal, et se changeait pour revenir au théâtre, très belle, en robe longue. Hugh Finch Williams, son époux l’accompagnait, lui aussi invariablement en tenue de soirée.

Sans doute Harald Lander avait-il engagé Vera sachant l’étroite correspondance qui existait entre l’école russe qu’elle représentait, celle qu’avait enseignée Christian Johansson au Théâtre Maryinskii et que celui-ci avait transmise à Agrippina Vaganova, et celle d’August Bournonville. Et effectivement, si Vera a su ouvrir grand les portes de notre technique, son phrasé musical, ses ports de bras, ses épaulements étaient en parfaite syntonie avec notre école.

Cependant elle nous a libérés, car avant son arrivée nous tendions à danser Bournonville en imitant les vieilles photographies – voire des daguerréotypes ! – ou de très vieux danseurs. Sans peut être comprendre qu’enserrés comme ils l’étaient alors dans des costumes inélastiques et très lourds (et pour les dames, dans des corsets), ils peinaient à déployer le mouvement. D’ailleurs, dès 1951 Vera nous disait : « Attention ! au XIXème siècle, quantité de défauts de placement de la jambe et du bassin passaient inaperçus, enfouis sous une montagne de tissus ! » Je me rappelle aussi de notre surprise lorsqu’elle nous dit pour la première fois de mettre le pouce contre le majeur, afin de mieux soutenir le bras.

Sa dévotion à l’art de la danse avait quelque chose de noble, de quasi-impersonnel. Si quelqu’un était blessé, qui qu’il fût, et sollicitait son aide, sans hésitation, après une pleine journée d’enseignement, Vera s’enfermait avec lui dans un petit studio pour le conseiller et le remettre d’aplomb. Toujours cette générosité !

Vera Volkova pendant la Guere dans son studio du 26 West Street avec Margot Fonteyn
Collection privée

En 1968 ou 1969, mon époux Flemming Flindt et Kirsten Simone étaient invités à danser au Bolchoï et Flemming voulait que Vera et moi y assistent. J’ai pris l’avion avec Vera. Lorsque nous sommes arrivées à Moscou et que les soldats nous entourèrent en nous sommant de sortir nos documents, Vera est devenue blême. Elle tremblait et se serrait contre moi. C’est alors que je me suis rendue compte de ce qu’elle étouffait en elle par rapport à la Révolution et à son passé en Russie. Pendant le vol du retour, elle m’en a parlé pour la première fois.

Vera inspirait en nous la vénération. Elle savait garder ses distances, car elle respectait l’intimité de la pensée d’autrui ! Si elle n’obligeait jamais un artiste à écouter son avis, une fois sollicitée elle était toute dévotion. Margot Fonteyn nous parlait beaucoup d’elle. Lorsque mon époux qui l’adorait (et qui appréciait aussi son sens d’humour !) est devenu Directeur de la danse en 1966, il voulut absolument la garder comme professeur. Et elle resta avec nous jusqu’à sa mort en 1975.

Il faut également insister sur le respect qu’elle entretenait pour le maître de ballet et le chorégraphe. Toute sa compétence, toute sa puissance, elle la dirigeait sur les aspects techniques – la grande technique – sans interférer avec les détails de l’interprétation qui pour elle, restaient l’apanage du maître de ballet.

Détail amusant : en un quart de siècle à Copenhague, jamais elle n’a su apprendre la langue danoise ! Dans les magasins, elle parlait en anglais. C’est à cause d’elle que nous avons tous dû apprendre à parler l’anglais, ou plutôt son mélange étrange de russe et d’anglais !

Juin 2010

Née dans une famille de musiciens, Vivi Flindt est étoile du Ballet du Théâtre Royal du Danemark et Chevalier de l’Ordre du Dannebrog. Entre 1982 et 1989 elle a dirigé le Dallas Ballet Academy et de 1994 à 1996, elle a été professeur au Théâtre royal. Metteur en scène de maints ballets de Bournonville, elle a aussi reconstruit son Toreador aux côtés de son époux Flemming Flindt. Actuellement, Vivi Flindt dirige le Bartholin Seminar à Copenhague.