Auguste Vestris


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26 juin 2010, septième soirée : Vera Volkova

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Extraits des Carnets de Vera Volkova
26 juin 2010

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D’abord, jamais l’on ne pourra insister assez sur cette vérité : à aucun moment le danseur ne se tient sur deux pieds, même pas lorsqu’il est en cinquième. Le poids du corps se déporte déjà sur l’un ou l’autre pied en vue du pas qui va suivre.

Ici, en fin de compte, nous sommes face à un principe fondamental, dans la mesure où l’allegro, qui représente une jauge de la qualité et de la précision du danseur, veut dire transférer le poids du corps d’un pied à l’autre, d’une position à l’autre avec célérité et précision, et donc avec la plus grande économie. Quel temps perdu, si l’on danse sur les deux pieds – il faut réajuster le corps avant d’enchaîner chaque nouveau pas, en gaspillant temps et effort. Avec cette idée en tête, pratiquement chaque passage à travers la cinquième devient tel un coupé.

A partir de ce principe, va émerger le concept d’être toujours sur la jambe sur laquelle on se tient et depuis laquelle on travaille. Non seulement cela permet un placement bien plus exact du corps mais c’est aussi la seule manière d’obtenir un vrai plié.

Ce premier élément fondamental concerne surtout la jambe d’appui, le deuxième concerne surtout la jambe libre.

Pour en venir au deuxième aspect fondamental (s’il n’est pas totalement méconnu, du moins n’est-il pas bien compris !) : on travaille toujours à partir du centre du torse vers les extrémités, plutôt que le contraire. Ceci est vrai autant pour les bras que pour les jambes.
Dès que le danseur se met à travailler avec un pied « dur », un pied « hyper-pointé », toute la jambe en subira les conséquences. Le mollet, le genou, la cuisse ainsi que le bassin, dans cet ordre, devront forcément aller là où leur dictera le pied « dur ». Exactement à l’opposé de ce qu’il faut obtenir !

La jambe doit être placée depuis le centre du dos, passant à travers le bassin et l’aine, à travers la cuisse et le genou, puis le mollet et le pied ; toute la jambe ira alors là où dictera le dos (et non le pied !).

C’est ainsi que l’on parviendra à situer le foyer de toute puissance dans le creux du dos. Dès lors que l’action prend son origine dans le dos, n’impliquant la jambe que parce que cette dernière est attachée au corps, l’on parviendra à la fois à une meilleure concentration de la puissance et à une économie dans tous les gestes.

Ainsi le pied devient la partie la plus lointaine et celle de moindre importance, de la jambe.

Alors que tant de professeurs martèlent sans relâche, « tend le pied de ta jambe libre ! » Mais Pierre Vladimiroff [1893-1970, partenaire de Kschessinskaya, professeur à la School of American Ballet de 1934 à 1967] dit le contraire : « Ne tendez pas trop fort le pied, ne dansez pas avec les seuls pieds. »

Tout cela est aussi vrai des mains et des bras, qui doivent être libres de toute contrainte. Ils seront tenus et placés depuis le dos et iront là où leur dicte le dos. On peut éduquer la partie supérieure du dos, tout comme la partie inférieure. Une tension qui s’exprime dans les extrémités, que ce soit dans les bras ou dans la jambe libre, empêchera le dos de jouer son rôle de centre de toute puissance, et entravera un placement exact au-dessus du pied de la jambe d’appui.

Voyons comment le funambule utilise son pôle de bambou. Les extrémités du pôle sont tout à fait détendues et flexibles tandis que le centre – la section que l’acrobate tient entre ses mains – est sinon rigide du moins bien tenu en main. C’est le fait même que les extrémités du pôle soient mobiles et libres qui permet au funambule de tenir l’équilibre. Si les extrémités du pôle devaient être figées ou rigides, le pôle lui-même ferait perdre son équilibre au funambule.

De même, des bras « tendus », une jambe libre « serrée » font perdre à tout le corps son équilibre, provoquant des tensions musculaires inutiles afin de compenser un manque d’équilibre. « Détendez les mains et les bras ! Soutenez-les à partir du dos ! » résonne ce cri du cœur dans le désert ! Ceci tient aussi pour le travail à la barre. Comme dans la vie où l’on s’agrippe à ce que l’on ne possède pas, si l’on s’agrippe à la barre on finit par ne plus pouvoir se tenir bien droit, seul.

Une manière d’exécuter les figures du Grand Allegro
Caricature d’August Bournonville, vers 1848

En ce qui concerne le battement fondu, voilà un exercice méconnu des écoles européennes [en Europe Occidentale - ndlr], fait incompréhensible, puisqu’il s’agit de la préparation idéale du saut, de l’allegro, tout en étant le développement logique des temps d’adage. L’aspect fondamental du battement fondu est [la maîtrise du] transfert exact du poids d’un pied à l’autre ; l’exercice permet aussi de travailler correctement la jambe d’appui dans le passage du plié à la demi-pointe.

Nous sommes face à l’action sur deux plans : l’action qui touche à son maximum sans toutefois vraiment sauter – en avant, en arrière, vers le côté – ou d’un angle à l’autre, et l’action vers le haut et vers le bas.

Je ne puis imaginer comment on peut espérer sauter correctement sans s’être préparé de cette manière. Sans [le battement fondu], le saut ne sera qu’un temps d’adage plus « énergique », dénué de toute fluidité ou moelleux, car le temps d’adage n’est pas seulement une préparation au saut – le temps d’adage regarde la question du placement.

Le secret, dans le battement fondu, est tel que nous venons de le voir : la cinquième n’est jamais une position sur les deux pieds, mais plutôt un coupé passant à travers la cinquième, d’où vient la notion de sauter d’un pied à l’autre.