Vera Volkova au Danemark
par Flemming Ryberg
26 juin 2010
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Avant l’arrivée de Vera Volkova, le Théâtre royal connaissait surtout Bournonville, et l’Ecole de danse les cours de Harald Lander. Volkova est arrivée vers 1951 au Danemark et son style était le style russe. Puis, vers 1962, le Théâtre engagea un professeur de Lettonie, Edith Frandsen, qui était très dure avec les gens. Les enchaînements qu’elle donnait étaient à la fois très courts et d’une difficulté effroyable. Edith se déchaînait contre ses élèves dans un torrent de paroles abusives. Mais Vera non, elle était tout le contraire ! Elle voulait que les gens se réjouissent dans leur danse !
La barre de Vera, lente, durait environ 45 minutes, pendant laquelle elle nous corrigeait minutieusement. Le centre commençait lentement aussi, par des battements tendus, suivis d’un grand adage, des battements fondus très bas, des pirouettes, puis elle donnait les petits sauts, les pointes, suivis des grands enchaînements. Pour les hommes, elle terminait le cours avec des entrechats-six par seize ou par trente-deux.
Seulement vers la fin du cours donnait-elle des exercices très lourds d’assemblés,
Assemblé – RESTER
Assemblé – RESTER
afin de vraiment apprendre à utiliser le plié, et toujours avec les talons fermement posés.
Tout cela nous fit acquérir une très grande puissance, et nous avons compris comment utiliser le plié – regardez Erik Bruhn et Henning Kronstam ! Mais je n’ose plus le donner en cours aujourd’hui, car les danseurs n’ont plus la force. Ils ne le peuvent plus.
Dans l’antre du peintre : Kirsten Simone et Henning Kronstam en Kitri et Basilio
Comme ma sœur Kirsten Simone me l’a montré, Vera savait parfaitement comment faire travailler les pointes. Beaucoup de ce qu’elle nous a enseigné, je le donne dans mes propres cours.
Lorsque Stanley Williams enseignait encore au Danemark et que Vera était ici, ce qu’il faisait était une merveille. Puis il est allé en Amérique et soudain, tout devait être si rapide, tel que le voulait Balanchine. Je le déplore ! Jamais je n’aurais pu danser aussi longtemps sur scène si j’avais travaillé avec Stanley - vite-vite-vite.
Au cours des années cinquante, des chorégraphes influents tels Balanchine, Robbins, Ashton, Cranko ou Roland Petit ont monté leurs ballets au Théâtre royal. Volkova les connaissait bien_ ; ce sont ses cours qui nous ont permis de confronter ces nouveaux défis.
Vera Volkova avait une manière extraordinaire d’enseigner le port de bras, et ne voulait pas de levers de jambe. De toute manière, Vera n’était pas venue au Danemark pour changer Bournonville, mais pour lui insuffler une nouvelle vie ! Et tout ce qu’elle faisait, était excellent !
Maintenant, il est vrai que certains rageaient contre Vera. On trouvera toujours quelqu’un pour avoir « son propre style » ! Ils avaient tort, car leur manière de porter les bras était affreuse ! Volkova était très proche de Bournonville ! Mais certains avaient tendance à laisser tomber les coudes et n’étaient pas du tout contents lorsque Vera les corrigeait. Mais Bournonville ne voulait pas de bras avec le coude cassé ! Il dit bien « les bras arrondis », et les images d’époque sont parlantes.
Ma soeur Kirsten Simone ainsi que Henning Kronstam étaient déjà très bons avant que Vera Volkova n’arrive à Copenhague, mais c’est elle qui leur a permis de devenir excellents ! Elle les a changés et grâce à elle, ils ont fait carrière.
Volkova fut mon professeur pendant cinq ans. Refusant le forcing, elle me disait de prendre chaque chose en son temps, avec calme. Elle avait raison. Ce furent cinq très belles années. Le matin, je prenais un cours, puis celui de Volkova l’après-midi. Après le spectacle, elle venait nous parler car elle faisait aussi répéter de manière admirable. Elle assistait à tous les spectacles et nous a guidés avec un vrai sens de la perfection. C’était une mère pour tout le corps de ballet.
Lorsque Vera était à Copenhague, grâce à tout ce beau travail qu’elle nous a inculqué avec les ports de bras, ces bras tenus plus bas, nous avions un même style dans tous les ballets, ce qui donnait une cohésion à notre ensemble. D’ailleurs, lorsque Balanchine est venu à Copenhague dans les années 1950 et monta Apollon avec nous, les bras qu’il donnait étaient fort jolis et tenus plus bas. Mais au cours des dernières années de sa vie, peut-être ne regardait-il plus que les jambes et les pieds, et il en est venu à tolérer des bras levés, moulinants partout !
La réputation de Vera était mondiale et nombreuses sont les étoiles qui ont fait le voyage jusqu’à Copenhague pour prendre ses cours – entre autres, Jean Babilée, Zizi Jeanmaire, Nathalie Philippart, Melissa Hayden, Wilfride Piollet, Maina Gielgud, Toni Lander, Rudolf Nouréev… Et elle a formé toute une nouvelle génération d’artistes danois - Kirsten Simone, Henning Kronstam, Niels Kehlet, Mette Hønningen, moi-même et tant d’autres.
D’abord, Vera montra comment enseigner à Stanley Williams et Erik Bruhn, qui ont été mes premiers professeurs à l’Ecole du Théâtre royal. Plus tard, en tant qu’apprenti, membre du corps de ballet, puis étoile, les cours de Vera furent une source intarissable d’inspiration.
Combien je l’aime pour tout cela, pour tout ce qu’elle nous a donné ! Ce qu’elle a donné à la danse classique représente tout pour moi, et je lui dois une infinie reconnaissance. Kirsten, Henning, Erik Bruhn et moi-même nous l’aimions !
La fréquenter était un délice, et son sens de l’humour, irrésistible.
Janvier 2010
Au Théâtre Royal, en 1830 Dessin de C.F. Christensen