Liubov Nikolaïevna Egorova
Souvenirs de Maina Gielgud
30 mai 2010
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Liubov Egorova telle que
Maina Gielgud l’a connue
Collection de l’artiste
Très jeune, j’ai eu la chance de travailler à Londres avec Tamar Karsavina avant qu’elle ne tombe malade et ne me conseille d’aller à Paris pour y étudier auprès des professeurs russes. J’ai d’abord étudié auprès de Julie Sedova à Cannes mais lorsqu’elle dut arrêter en raison de son grand âge, je suis retournée à Paris pour y travailler auprès de Liubov Egorova, et ce pendant quatre ans. Je devais avoir environ douze ans et demi.
Le cours que donnait Egorova aux professionnels commençait vers 10h30 rue de la Rochefoucauld, dans la maison de son époux, le Prince Troubetskoï. Quoique le studio fût assez petit, il n’était pas encombré de pilliers, chose rare à l’époque. Le pianiste – russe - était Madame Marie, qui était le pillier du cours ! Nous étions une quinzaine à venir régulièrement dont Claude Bessy, Ethéry Pagava et Wilfried Piollet. Et quelques autres danseurs merveilleux, dont une certaine Jacqueline, une rousse toute bouclée qui avait - une Mère !
La barre chez Egorova était fort simple, bien construite du point de vue rythmique, et ne changeait pas souvent. C’était vraiment de l’avant-Vaganova : on ne changeait pas constamment de pied et de poids du corps. Nous travaillions sur une jambe, puis nous enchaînions de l’autre côté sans pause aucune. La barre était faite d’un seul trait. Egorova ne perdait pas son temps à nous apprendre des enchaînements à la barre. Elle y donnait peu ou pas de ports de bras.
Egorova ne se levait pas de sa chaise, sauf pour montrer l’adage, qui était long et très beau. Madame Marie jouait, elle écoutait attentivement puis créait l’adage, qui se terminait dans une pose très stylisée. Il n’y avait pas de lignes droites, on utilisait tout l’espace et chaque pas était épaulé.
Tous les jours, Egorova donnait les grandes pirouettes tout de suite après l’adage – tours sautillés à la seconde puis tours à la seconde, tours en attitude et ramenés en pirouette. Les filles les faisaient sur pointe - personne d’ailleurs n’éprouvait la moindre difficulté avec ces tours et pirouettes en tout genre ! Quant à la belle rousse, elle savait faire cinq tours dans toutes les positions !
Pour les temps d’allegro au milieu, et contrairement à l’adage, c’est Egorova qui montrait d’abord les pas avant de dire à Madame Marie de jouer. Après les grandes pirouettes elle ne donnait qu’un ou deux exercices avant les sauts. Il y avait une montée en puissance pour arriver à la batterie.
Les enchaînements de saut, simples, étaient néanmoins différents tous les jours. A la fin de la leçon, toujours les grands battements. Mon petit chien connaissait la musique et se levait alors d’emblée, sachant que nous allions bientôt sortir !
Jamais Egorova ne hurlait ni ne criait, et elle ne touchait pas les gens. Elle était de nature positive, constructive et encourageante, et nous appelait toutes « ma petite ». Elle portait un costume coupé dans un tissu de serge bleu, des bas épais de couleur marron et des chaussures noires de type danse de caractère, ainsi que des gants d’un blanc immaculé, car elle avait un problème de peau. Ses cheveux gris, où quelques fils bruns paraissaient encore, était coiffés en chignon. Sa peau était très belle, fine comme du papier de Japon, et elle se maquillait légèrement.
La tête, chez Egorova comme chez Preobrajenskaya et Karsavina, était utilisée de manière particulière, très expressive, et nous avons essayé de prendre exemple sur leur manière d’utiliser le torse. Aucune préciosité de venait troubler les mouvements des bras et des mains, qui étaient d’une grande pureté.
Tous ces professeurs voulaient que nous utilisions correctement et à fond le demi-plié, avec le talon bien au sol. On travaillait beaucoup les positions en écarté et en effacé, et des pas tels la gargouillade ou la révoltade qui ont quasiment disparu. Les pas préparatoires, les pas courus, n’accaparaient pas une attention excessive, contrairement à tout l’effort que nous y consacrons aujourd’hui.
Même si ces cours étaient très durs, je les attendais avec une grande exaltation car c’était la joie ! Au centre les enchaînements, extrêmement exigeants, mettraient en difficulté beaucoup de nos professionnels actuels - par exemple, des enchaînements entiers sur la demi-pointe. Les enchaînements étaient cependant logiques : le corps voulait aller comme de lui-même dans le sens qu’ils indiquaient.
Une ou deux fois par semaine je prenais une leçon privée de répertoire. Ainsi Egorova m’a transmis les deux variations d’Aurore de l’Acte I et III, ainsi que celles des Fées du Prologue, la grande variation du Cygne Blanc et celles des Sylphides. Parfois Wilfried Piollet m’accompagnait. Je crois me souvenir que les variations de La Belle au bois dormant que j’ai apprises auprès d’Egorova était très proches de la version notée par Sergueev, que celui-ci allait par la suite enseigner en Angleterre.
Le sens de l’enchaînement était présentée de manière plus claire que de nos jours : il s’agissait de faire ressortir la dynamique du mouvement et ce que le public devait voir. C’était la science de la danse théâtrale : comment présenter la chorégraphie, son personnage, comment sortir de coulisses, comment prendre la scène, en mariant son entrée sur scène avec la danse afin que l’on ne voit pas les coutures.
Deux entrevues complètes avec Hélène Sadovska-Taras et Maina Gielgud sont disponibles sur le site de la Société Auguste Vestris :