Mathilde Kschessinskaya
par Bétina Marcolin
28 mars 2010
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Si le titre princier de Mathilde Felixovna Kschessinskaya, « S.A.S. La Princesse Romanovsky-Krassinsky, Prima Ballerina du Théâtre Impérial de St Petersbourg » pourrait, à prime abord, porter à croire à une inflation d’égocentrisme, la recherche nous fait découvrir une immense personnalité, pourvue d’un charme ensorceleur sur scène comme dans sa vie privée et vouant à son art une intégrité absolue. Mathilde Kschessinskaya avait de quoi tenir, car ses deux parents - puis son frère et soeur aînés - étaient danseurs professionnels. Son père Félix, artiste insigne, décoré, fêté se produisit sur scène jusqu’à l’âge de 83 ans !
Née en 1872 d’une famille de nobles polonais, Kschessinskaya se mit à la danse dès l’âge de 3 ans, jusqu’à ce que son talent inné ne fût pris en main à l’Ecole Impériale. Elle raconte qu’elle était espiègle et vive mais très appliquée pendant les leçons. Son premier professeur est Léon Ivanov, qui accompagnait ses élèves au violon.
À 11 ans, Kschessinskaya passait dans la classe de Ekaterina Vazem où des exercices plus difficiles ainsi que la grâce étaient exigés, et l’apprentissage de tous les pas fondamentaux. Vazem surveillait la position correcte du pied sur la pointe ainsi que l’en-dehors. Sa classe faisait transition à celle du suédois Christian Johansson (1817-1903), véritable école de virtuosité.
C’est ainsi qu’à l’âge de 15 ans Mathilde Kschessinskaya entra dans la classe de Johansson, qu’elle célèbre dans ses mémoires comme excellent professeur, poète en son art, artiste et créateur inspiré. Tout au long de sa vie elle garde dans son coeur une place pour ce professeur à qui elle doit beaucoup.
Ellen Rasch, âgée aujourd’hui de 90 ans, grande danseuse suédoise née de mère russe et de père suédois, venait alors à Paris pour se parfaire et prit des cours chez Kschessinskaya. Lorsque Ellen se présenta au studio de Kschessinskaya, celle-ci s’écria : « La Suède ! Pays d´où venait mon professeur préféré Christian Johansson ! » Quant à Olga Preobrajenskaya, en hommage à Johansson elle insista pour donner à Ellen des cours à titre gracieux.
L’apport de Christian Johansson au Ballet Impérial à Saint-Petersbourg est très considérable. Il fit ses études de danse à l’Opéra Royal de Stockholm où les français avaient été fort influents au cours du XVIIIème siècle, notamment Louis Gallodier sous le règne de Gustav III. Ce dernier fit de Stockholm un centre international où aimaient à se produire les artistes les plus éminents. L’empreinte française demeurait forte à l’Opéra royal grâce à Sophie Daguin et à André Isidore Carey (élève d´Auguste Vestris), sans toutefois négliger l’influence italienne, à travers Filippo Taglioni. Soulignons surtout qu’avant d’aller danser à Saint-Petersbourg, Johansson se rendit à Copenhague pour travailler auprès d’August Bournonville.
De son maître Johansson, Kschessinskaya écrit : « Il savait penser, il savait observer et ses remarques pertinentes nous étaient fort précieuses. Son art était noble parce que simple, lui-même aussi à l’égal de sa sincérité. Chaque mouvement s’avérait plein de sens, exprimait une pensée...C’est à lui que je dois en grande mesure, ma carrière. »
Virginia Zucchi (1849-1930)
Cliché d’auteur inconnu, vers 1895
Bibliothèque de l’Archiginnasio
di Bologna
Une autre artiste qui l’inspira fut l’italienne Virginia Zucchi (1849-1930), élève de Carlo Blasis puis de son disciple Giovanni Lepri. Si les étoiles invitées italiennes étaient déjà très admirées à Saint-Petersbourg pour leur technique flamboyante, la Zucchi possédait de surcroît à la perfection le geste mimique. Kschessinskaya écrit d’elle, « Je compris que cette technique, loin d’être un but, n’est qu’un moyen ! ... Chez Zucchi, les mouvements, les ondulations des bras, du dos se révélaient étonnament expressifs ». Ce fut une révélation pour Kschessinskaya, alors encore adolescente.
Les louanges prodigués devant la grâce, l’harmonie des gestes et le jeu dramatique de Mathilde Kschessinskaya semblent indiquer qu’elle est l’une des rares à avoir réussi le difficile art d’unir corps et âme au service de l’action théâtrale. Un critique russe résumait ainsi sa longue carrière : « Empruntant à l’école italienne sa virtuosité, à l’école francaise sa grâce, Mlle Kschessinskaya fit passer tout cela à travers le prisme de la douceur et de l’âme slaves ; elle y ajouta sa ravissante mimique et paracheva, jusqu’aux moindre détails, un art qui délecte depuis vingt ans tous les amateurs de ballet. »
La Révolution soviétique la contraint à l’exil. A Paris où elle et sa famille s’installent, elle ouvre un studio. Sis au 6 avenue de Vion-Whitcomb dans le XVIème arrondissement de Paris, le studio est inauguré le 26 mars 1929. Elle donne sa première lecon à Tania Lipkovska qui lui porta beaucoup de bonheur. Parmis ses disciples se trouvent David Lichine et Tatiana Rabioutchinskaya.
C’est alors que Kschessinskaya s’avère avoir des dons inattendus de pédagogue, développant chez l’élève tant la technique que la perception individuelle de la beauté. Dans les exercices une place est toujours réservée à la grâce et au charme personnel, afin que s’epanouissent les particularités de chaque tempérament. Le port de tête et l’épaulement, joyaux de l’expression artistique, occupent une place fondamentale.
Beryl Morina, qui est ici parmi nous aujourd’hui, fut son élève, et perpétue et confirme son travail. L’enseignement de Mathilde Kschessinskaya n’était pas un système qu’elle imposait à ses élèves, mais un enseignement qu’elle adaptait selon l’individu.