Enrico Cecchetti (1850-1928) est l’un des grands pédagogues de tous les temps. Fils de danseurs et élève de Giovanni Lepri, qui fut lui-même l’élève de Carlo Blasis, Cecchetti a d’abord été danseur de demi-caractère virtuose (c’est lui qui créa l’Oiseau Bleu pour Petipa), puis mime extraordinaire dans les rôles de composition, professeur à l’Ecole impériale de Saint-Petersbourg, maître de ballet des Ballets russes, professeur à Londres, à Turin et finalement à l’Ecole du Teatro alla Scala. Dans ses classes se pressaient des artistes dont le nom est aujourd’hui légendaire.
Cecchetti dans le rôle de Diavolino, dans La Fille du bandit (1888)
Porte-parole d’une lignée qui remonte au tout début de la Renaissance italienne mais qui, par la Route de la Soie, nous vient en réalité du sous-continent indien, Enrico Cecchetti, s’il était plus qu’ouvert au monde qui l’entourait, ne s’est jamais laissé influencer par aucune mode, aucune autorité ou pression sociale. A ses élèves, il a transmis la majesté des formes, puissantes et efficaces car dépouillées de toute recherche d’effet, à l’instar des architectes et ingénieurs qui ont bâti l’Italie.
L’enseignement était pour lui une science, dont la prémisse était le respect de l’anatomie et une connaissance juste des forces qui régissent le mouvement. S’il rejoint August Bournonville sur l’essentiel, des traits lui sont néanmoins bien particuliers_ : l’application de sa recherche sur « l’à-plomb » à une infinité de pirouettes virtuoses, un phrasé plus « staccato », une utilisation occasionnelle quasiment du « sur-place » (volubilité toute italienne !) et de plans frontaux, ainsi qu’une exploration des plans où le torse va comme chercher le sol. Le tout, associé à une jubilation dans la maîtrise démonstrative de la difficulté que Bournonville n’aurait sans doute pas sanctionné !
La densité dans le temps et dans l’espace que permettent ces changements subits de direction, de qualité d’attaque, de plans, confère à la danse une charge émotionnelle qui la rapproche de bien plus près de sa « sœur aînée », la musique.