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23 janvier 2011, neuvième soirée : Carlotta Zambelli
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« Cet épaulement, ces bras, ce regard »
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Paulette Dynalix et ses élèves (Michèle AuvergneTharaud est la 2e à partir de la droite)
Collection M. AuvergneTharaud |
Une fois la barre terminée, les élèves ne se plaçaient pas n’importe comment au milieu. Celles qui étaient à la barre centrale descendaient en première ligne, tandis que celles des barres de côté formaient les lignes derrière, car pour Mademoiselle, tout était une préparation aux alignements de la scène. Au milieu, la première ligne d’élèves qui terminait un exercice se séparait en deux pour partir sur les côtés, tandis que la ligne de derrière s’avançait. On utilisait beaucoup les diagonales, ce qui nous habituait déjà aux figures de la scène. Et après chaque exercice, nous faisions une révérence.
Mademoiselle trônait dans son fauteuil et nous montrait les enchaînements avec ses seules mains, ce qui nous donnait une vivacité d’esprit et stimulait notre imagination.
Quand nous avions fini notre propre cours, nous restions pour regarder et apprendre sur les grandes élèves. Il fallait comprendre, car personne ne nous mâchait le boulot. Il fallait suivre. De temps en temps, Mademoiselle permettait à une - peut-être deux – jeunes élèves de faire la barre avec les grandes dans le cours qui suivait le nôtre - ultime récompense ! Nous nous faisions alors toutes petites derrière Mademoiselle Motte ou Mademoiselle Vlassi.
Quand nous étions plus avancées, Mademoiselle donnait au tout début du cours des pliés en seconde, dos à la barre, une sorte d’exercice préparatoire. Le premier exercice était le grand rond de jambe dégagé plié seconde - typique de cette époque, et très rapidement. Il n’y avait pas d’exercice spécial pour les battements jetés, car on faisait les dégagés pour terminer la série avec des battements jetés rapides à la seconde. Elle donnait le battement frappé avec le pied enveloppé autour de la cheville, mais sans que le pied ne brosse le sol. Les ronds de jambe en l’air, pour finir en équilibre au genou, les petits battements sur le cou de pied – et vraiment sur le cou de pied et non pas plus haut ! - suivi des grands battements, quatre dans les trois positions. Puis jambe sur la barre et pied dans la main, mais pas de grands écarts, pas d’autres étirements.
Au milieu, Mademoiselle donnait de nombreux exercices de ports de bras, auxquels elle attachait une grande importance. Elle donnait souvent les ports de bras avec troisième renversée en appuyant les épaules ; les ports de bras devaient aller jusqu’au bout, mais toujours en passant correctement par la première. Jamais le coude ou le poignet cassé ! [1] « Allez loin » disait-elle, et il faut voir là combien elle avait fait évoluer la danse depuis le début du XXème siècle, où les ports de bras étaient devenus très raccourcis.
Quant aux adages - elle refusait que nous levions les jambes au-dessus de la hanche ! - s’ils n’étaient pas très longs, ils étaient très dansants.
Et Mademoiselle donnait les grandes séries - de pas de bourrée, de jetés, d’assemblés etc. Parmi celles-ci, elle nous donnait à faire les coupés par demi-tour (coupé coupé, assemblé, temps levé), ainsi que tous les pas de bourrée avec changement de pied. Ou pas de bourrée dessus dessous dessous dessus sept fois, puis gargouillade pour changer de pied ; ou bien pas de bourrée « bateau », froissé (comme la moitié d’un flik-flak), petit saut de chat ; ou bien, très rapide, pas de bourrée en diagonale en remontant, c’est à dire pas de bourrée dessus dessous dessus coupé seconde, et le tout sur un temps. Le rythme était souvent un, un, puis trois ; un un puis trois. Terribles, les séries d’assemblés par huit, en remontant en descendant, et plusieurs fois d’affilée. Tout cela pour le cœur, pour le souffle, l’endurance.
Très éprouvantes aussi, les séries d’entrechats trois et quatre ! que Mademoiselle donnait toujours avec les épaulements.
Plus avancées, nous finissions toujours les cours – avant la révérence - par des variations du répertoire : Phryné ou Cléopâtre (du ballet de Faust), Giselle, La Juive de Halévy (je me rappelle encore de la musique), la variation dite « Le petit Chien » de Suite de danses. Il fallait jouer, il fallait exprimer quelque chose, toujours.
Pour nous faire apprendre les pirouettes, Mademoiselle nous donnait d’abord trois retirés de face, un tour ; puis un retiré, un tour, un retiré un tour, pour ensuite nous faire faire seize fois les tours suivis, fermé en cinquième à chaque fois, et ensuite attaquer les fouettés. Toujours à droite et à gauche.
Quant aux tours à la seconde, Mademoiselle nous les donnait d’abord par quart et sans relevé. Ensuite nous passions au demi-tour avec relevé, et il fallait rester sur la jambe. Elle donnait aussi beaucoup de temps de pointe (piqué) coupé fouetté, très rapide.
Savoir jouer avec les épaulements était fondamental pour Mademoiselle Zambelli. Ces épaulements allaient jusqu’à - je vais presque dire - des décalés d’épaule. Le buste était très tenu, mais il y avait toujours cet épaulement, ces bras, ce regard ! Elle nous apprenait à danser devant et pour le public ; c’était une façon de travailler qui nous préparait à la scène dès le début de l’apprentissage.
L’enseignement de Mademoiselle Zambelli était très scientifique. La progression de la technique était préparée à l’avance, il y avait une vraie pensée, une construction de la pédagogie. Quand elle nous donnait un nouvel exercice, elle savait que nous étions préparées et prêtes à le faire.
Elégante et distinguée, Mademoiselle était presque toujours habillée de gris perle. Elle ne nous touchait jamais dans le cours.
Très croyante, nous la retrouvions une fois par mois à l’église Saint Roch pour la messe du dimanche matin, qui était précédée d’une conférence sur la danse de Mademoiselle Madeleine Lafon, uniquement pour quelques petits rats. Très nerveuse, Mademoiselle Zambelli avait toujours autour du cou une écharpe en soie qu’elle triturait dans tous les sens lorsqu’elle n’était pas de bonne humeur en disant : « Je veux que ce soit ainsi ». Il ne fallait jamais être malade. Un jour où je n’étais pas en forme, elle m’a dit : « Si tu es malade, tu restes chez toi. »
Si stricte et distante qu’elle était, nous avions pour Mademoiselle Zambelli une admiration et un respect sans borne. Elle nous a donné le goût de la danse, du travail et surtout la musicalité. Nous avions toutes de beaux bras, une rapidité de bas de jambe et un grand sens artistique. En souvenir de son enseignement, que j’ai toujours cherché à continuer, j’ai nommé la salle du Conservatoire du XIVème arrondissement où j’ai enseigné pendant quarante ans, le Studio Zambelli.
Je lui dois beaucoup.
Merci Mademoiselle !
Née en 1941, Michèle Auvergne-Tharaud a commencé la danse avec Carlotta Zambelli en 1949, puis est entrée à l’Ecole de l’Opéra en 1952 pour y faire toutes ses études. En 1957 elle rejoint la troupe du Théâtre du Châtelet, alors dirigée par Maurice Lehmann (1895-1974), et s’y produit pendant cinq ans avant d’entreprendre des tournées dans toute la France. Dès sa retraite de la scène, elle devient professeur au Conservatoire du 14ème arr., qui bénéficie de son enseignement pendant 40 ans, et également professeur, pendant les 21 ans de son existence, du Conservatoire Marius Petipa dans le 9ème arr., qui occupe alors l’ancien Studio Wacker. Parallèlement à son activité d’enseignante, elle créé de nombreuses chorégraphies d’opérettes pour l’Association lyrique de Michel Dens et pour l’Association lyrique d’Ile de France. Michèle Auvergne-Tharaud est Médaille d’Or du Mérite et Dévouement et Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.
Notes :
[1] « Cherchez à toujours tenir les bras arrondis de sorte que la pointe du coude devienne imperceptible. L’un des principaux atouts du danseur est la beauté de ligne, et un défaut d’attention ici ne manquera pas de produire une série d’angularités (sic) qui non seulement gâcheront toute autre faculté dont il pourrait se vanter, mais provoqueront chez le spectateur autant l’indignation que l’aversion. » Enrico Cecchetti.